Ville martyre

 

Ma ville, tu t’effaces,

Et je cherche tes traits ;

Je caresse ta face

Aux déchirants attraits ;

 

Et j’essuie la façade

De ton front poussiéreux,

Mais mon geste s’évade

Dans un effrayant creux.

 

À travers un nuage

Je perçois ton regard

Qui a hanté les âges

Pour se figer, hagard.

 

Et je palpe ta joue

Qu’une écharde pourfend ;

Je vois la forme floue

D’un vieux et d’un enfant.

 

Ma ville, tu t’enfonces

Dans la mourante mer ;

L’ouragan te défonce ;

Ton ciel devient l’enfer.

 

Tu étais mon épouse

Pleine d’aise et d’allant,

Et je revêts ta blouse

En lambeaux ruisselants.

 

Et tu étais ma mère

Et ma fille, et ma foi ;

Mon immuable terre

Crevassée, que de fois !

 

Ô Beyrouth, ô ma ville

Noyée dans le maelstrom

Par une classe vile,

Basse jusqu’au summum ;

 

On t’a cassé l’échine,

On t’a sortie du port

Devenu champ de ruines,

Exportateur de mort.

 

J’entrevois ton symbole,

Tes nourrissants silos

Mangés d’une auréole

Aux crépitants grelots.

 

Ȏ Beyrouth, comme un rite,

Tu suis la procession

Sacrée, depuis Béryte

Jusqu’à ta rédemption.

 

Tu traverses l’orage

En portant ta Maison

Dévastée par la rage

Et par la déraison.

 

Ȏ Beyrouth, tu es née,

Au carrefour béni

Avec pour maisonnée

Des enfants désunis ;

 

Beyrouth ville martyre

Par ses propres démons,

Dont la passion s’étire

En aval, en amont ;

 

Ȏ ma ville amoureuse

De la vie, à l’aura

Obscure et lumineuse,

Tu ressusciteras !

 

R.B.

Ville martyre – L’Orient-Le Jour (lorientlejour.com)

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