Ce matin du 24 décembre n’était pas ensoleillé pour le petit Henri, mais plutôt assombri par une lettre ouverte du père Noël à tous les enfants, déposée à l’endroit où il venait pour placer son soulier. Cette lettre, fort succincte, disait ce qui suit :
Mon cher enfant,
Ce Noël, en raison de la recrudescence des cas de Covid, de la propagation du variant Omicron et de son extrême transmissibilité, je ne pourrai pas être au rendez-vous pour la remise des cadeaux. Tes parents vont se charger de faire le travail pour moi, cette fois-ci. Tu ne voudrais pas que ton père Noël contracte le virus et cause une éclosion à la fabrique du pôle Nord, dès son retour, n’est-ce pas, mon enfant?
Alors je te donne rendez-vous pour l’année prochaine et je te dis moi aussi, même si c’en est devenu lassant de le lire et l’entendre partout depuis presque deux ans : « On ne lâche pas! On continue de protéger et se protéger ! ».
Joyeux Noël ! Je t’embrasse!
Père Noël
Les parents d’Henri entendirent de légers coups à la porte de leur chambre à coucher :
La mère : Oui Henri, tu peux entrer!
L’enfant se tenait, tout flétri, dans l’embrasure, la lettre humide en main.
La mère (alarmée) : Mais qu’y a-t-il ? Tu pleures, mon chéri? C’est quoi ce papier?
Le père : Montre-moi ça! Ah! Osti! Il nous pose un lapin de Noël avant Pâques, en prétextant le virus, et il nous refile la patate chaude des cadeaux!
La mère (à l’adresse du père) : On a dit pas de jurons devant l’enfant! Et pas « ce » sacre à Noël!
Le père : Pas grave! On s’occupera des cadeaux. On a encore le temps!
L’enfant : Mais moi, je veux les cadeaux du père Noël, des cadeaux de sa fabrique ! (snif-snif)
Le père : Mais s’il ne peut pas ou ne veut pas venir, on va le forcer ?
La mère : On ne peut pas le contacter et lui faire changer d’avis?
Le père : As-tu son numéro de téléphone ou son adresse courriel?
La mère : Nous avons l’adresse courriel de la fabrique pour l’envoi de la liste des cadeaux, imprimée au bas de la lettre : courrier@fabriquepolenord.com
Au même moment, à la fabrique du pôle Nord, le lutin en chef entre en coup de vent au bureau du Père Noël :
Lutin : Père Noël! Vous n’êtes pas encore habillé ? Le traîneau est prêt et les rennes vous attendent. Le voyage est long et le temps presse!
Père Noël : Je ne pars plus.
Lutin : Comment !!? Pourquoi ??!
Père Noël : J’ai envoyé une lettre à tous les enfants pour les informer qu’en raison de la flambée des cas de Covid-19 et de la forte transmissibilité d’Omicron je laisse à leurs parents le soin de faire les cadeaux cette année. Je ne vais pas courir le risque de me contaminer et de créer une éclosion dans la fabrique!
Lutin : Mais comment prenez-vous une décision pareille irréfléchie sans demander conseil? D’ailleurs, nous sommes tous doublement vaccinés ici!
Père Noël : Décision irréfléchie? Du respect! Je suis ton patron!
Lutin : Je n’en reviens pas de cette capitulation de votre part et de votre désistement de votre rôle ancestral par peur d’un virus! Les enfants du monde entier vous attendent impatiemment! Surtout les défavorisés qui attendent ce seul jour pour se réjouir!
À ce moment, un bip se fait entendre sur l’écran de l’ordinateur: une invitation sur Zoom pour une visioconférence.
Père Noël : Mais qu’est-ce que c’est?
Lutin : C’est une invitation d’une famille du Québec. Ils veulent, de toute évidence, discuter avec vous à ce sujet. Ayez au moins le courage de faire face à votre décision que vous trouvez réfléchie ! J’accepte l’invitation?
Père Noël : Accepte-la! Mais passe-moi d’abord mes lunettes et mon bonnet. Il y va de mon image.
Lutin : C’est vrai… votre image en a pris un coup!
Père Noël : Ça suffit! Tu peux établir la connexion. Je suis prêt à comparaître.
La mère: Bonjour père Noël ! Vous allez bien?
Père Noël : Oui, merci, madame, et désolé pour cet empêchement. Mais je suis sûr que vous comprendrez…
La mère : Moi, je comprendrais, mais le petit ne comprend et ne comprendra pas.
Père Noël : Je vois que votre mari, non plus, ne comprend pas ! Il me fait une de ces têtes ! (rires).
Le père : Nous ne sommes pas là pour vous juger, mais manquer à un engagement, surtout envers un enfant, n’est pas à prendre à la légère. Entre pères on se comprend!
La mère : Nous vous prions de reconsidérer votre décision. D’ailleurs, nous avons réfléchi, mon mari et moi, et avons trouvé la solution.
Père Noël : Et quelle est-elle?
La mère : Après avoir fini votre tournée mondiale nocturne vous viendrez vous mettre en isolement préventif pour quelques jours chez nous. Nous avons assez d’espace. Une grande pièce qui donne sur le patio vous sera réservée.
Le lutin bondit : Excellente idée!
Le père : Et j’installerai un séparateur plexiglas transparent dans la lucarne pour que vous puissiez communiquer avec nous en toute sécurité.
Père Noël : Merci de rendre mon cachot confortable ! Et si je développe des symptômes? Je suis à un âge bien vulnérable, vous savez. Je suis plusieurs fois centenaire!
Le père : Nous prendrons soin de vous. Mon épouse et moi sommes des soignants.
La mère : Vous n’aurez rien à craindre. Nous serons vos « anges gardiens »!
Le père : Et puis de quoi avez-vous peur? Vous étiez un saint à l’origine!
Père Noël : Ne me rappelez pas mon passé. Vous rendrez mon présent insupportable! J’ai été transformé en guignol par votre monde mercantile ! (soupir)
La mère : Alors ? Nous prenons votre soupir pour un oui?
Père Noël : Où est le petit?
La mère : Il s’est enfermé dans sa chambre. Votre lettre l’a bien attristé. Je crois qu’il en est de même pour tous les enfants de la terre.
Père Noël : Plutôt affronter mille dangers et mille morts que d’attrister un enfant. Bon, j’accepte votre proposition.
La mère : Merci pour ce sacrifice ! Nous dirons à Henri qu’il peut déchirer la lettre puisque vous viendrez, mais nous laisserons votre hébergement comme une surprise. Ce sera son plus beau cadeau de Noël, j’imagine!
Le père : Et cadeau du Nouvel An !
Père Noël (à l’adresse du lutin) : Pourrai-je m’absenter de la fabrique quelques jours sans vous manquer ?
Lutin : Père Noël, nous serons ravis de nous passer de vous pour quelques jours!
Le père et la mère : Ha! Ha! Ha!
Père Noël: Ho! Ho! Ho!
Et il en fut ainsi : le père Noël enfila aussitôt son costume vermeil, porta son masque, prit sa hotte gorgée de cadeaux, héla ses rennes et partit en trombe pour sa grande tournée planétaire, à la grande surprise mêlée de joie de tous les enfants qui ne l’attendaient plus à la suite de sa lettre.
Et quelle ne fut pas la surprise du petit Henri de recevoir, en plus des cadeaux de Noël, le père Noël en cadeau pour quelques jours! Cadeau pour lui tout seul!
Ronald Barakat